Quel est ce nouvel or noir qui promet au monde une agriculture durable et une élimination massive du CO2

Le biochar est un terme utilisé pour désigner un charbon végétal obtenu à partir de résidus de bois ou de cultures sèches. Il est produit en chauffant ces résidus à environ 500 degrés, sans oxygène afin d’éviter la combustion. Le biochar est couramment reconnu comme une technologie de réduction des émissions de carbone à long terme et en tant que substance qui améliore les propriétés physiques des sols. En France, des entreprises comme Suez, Carbonloop et NetZero ont investi dans ce marché naissant.

Un puit de carbone extraordinaire

La méthode de pyrolyse permet de capturer le carbone présent dans les végétaux. Puisque ces derniers absorbent le carbone pendant le processus de photosynthèse, ils peuvent être considérés comme une pompe à carbone. Cependant, lorsque les végétaux se décomposent, le carbone qu’ils ont capturé est libéré dans l’atmosphère. C’est là que le biochar intervient et devient un puissant puits de carbone. En effet, quand le biochar est répandu dans le sol, il se stabilise et ne se dégrade pas, piégeant ainsi le carbone pour des centaines d’années. Selon sa qualité et sa teneur en carbone, une tonne de biochar peut séquestrer entre 2,5 et 3 tonnes équivalent CO2.

Le biochar apporte de nombreux avantages aux sols, et ne les nuit pas. Des études scientifiques ont montré qu’il augmente leur fertilité. Sa structure poreuse permet à l’eau de s’accumuler dans les sols exposés à la sécheresse, et fixe les nutriments, réduisant ainsi l’utilisation des engrais. De plus, le biochar améliore le PH des sols et favorise la croissance des micro-organismes nécessaires à l’absorption des nutriments par les plantes. Claire Chastrusse souligne que plus on régénère les sols, plus ils captent du carbone, créant ainsi un cercle vertueux.

Energie renouvelable et agriculture durable

Le biochar est un produit qui se crée lors de la pyrolyse de la biomasse. Pendant le processus, deux flux sont produits : un flux solide (le biochar) et un flux gazeux (composé principalement de méthane et d’hydrogène). Chez CarbonLoop, 3.000 tonnes de biomasse sont utilisées pour produire 4 gigawattheures d’électricité et 500 tonnes de biochar par an, ce qui permet de s’auto-alimenter et de ne pas rejeter de gaz dans l’atmosphère.

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Ce procédé est inspiré des terres noires d’Amazonie, qui sont nettement plus fertiles que les sols adjacents à cause de la présence de charbon. Depuis quelques années, la recherche sur les applications industrielles du biochar s’est intensifiée et plus de 500 papiers scientifiques sur le sujet sont publiés chaque année, selon Dominique Helaine, directeur des solutions carbone chez Suez.

Le marché du crédit carbone va permettre de développer le biochar

Depuis des années, les bénéfices du biochar sont connus, mais pourquoi sa production industrielle n’a-t-elle pas été plus développée ? Axel Reinaud souligne que « le coût était trop élevé. En Europe, une tonne coûtait entre 500 et 1.000 euros, ce qui était trop onéreux pour un amendement agricole. » David Houben confirme cette opinion.

Heureusement, le marché des crédits carbone a changé la situation et transformé le modèle économique de la production de biochar. Les crédits carbone sont des certificats immatériels qui attestent qu’un projet de réduction ou de séquestration d’émissions de gaz à effet de serre a bien évité ou séquestré une tonne de CO2. Ainsi, les entreprises productrices de biochar peuvent obtenir un nouveau revenu en vendant ces crédits aux compagnies engagées dans la neutralité carbone, notamment les 2.300 participants à la Science Based Targets initiative (SBTi).

Un marché colossal

Afin de parvenir à la neutralité carbone à l’horizon 2050, le monde devra extraire considérablement de CO2 de l’atmosphère, car la diminution des émissions ne suffira pas. Axel Reinaud précise : « Il y aura une partie inévitable d’émissions qui proviendra notamment des processus industriels et de l’agriculture et qui devra être compensée en dernier recours ». Selon le GIEC, 5 à 10 milliards de tonnes de CO2 devront être retirées chaque année à compter de 2050. Une entreprise pourra compenser une tonne équivalent CO2 en achetant un crédit carbone issu de la production du biochar, à un coût compris entre 100 et 150 euros.

Axel Reinaud souligne également : « Le marché mondial de l’élimination du carbone est estimé entre 1.000 et 2.000 milliards de dollars, ce qui est plus que le marché mondial de la génération électrique. NetZero et sa technique de séquestration de carbone à long terme est actuellement minuscule dans ce marché colossal, mais à l’avenir, nous serons une petite goutte dans l’océan ».

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NetZero, une start-up fondée en janvier 2021, a récemment remporté un prix de 1 million de dollars lors d’un concours organisé par Elon Musk (le fondateur de Tesla et de SpaceX). L’entreprise ambitionne de séquestrer plus de deux millions de tonnes équivalent CO2 par an, dès 2031. Une première usine de production de biochar a été ouverte au Cameroun, et sa capacité de production devrait atteindre 3.000 tonnes par an. Deux autres usines sont prévues au Brésil, et à terme, NetZero souhaite en ouvrir des centaines, car « la demande en crédits carbone est absolument gigantesque », selon Guy Reinaud, le père de l’entrepreneur et pionnier du biochar. La start-up se concentrera principalement sur les zones tropicales, où la biomasse est abondante et à un bas coût, et où il n’y a pas de conflits d’usages.

CarbonLoop, Suez et Airex Energie dans la course

CarbonLoop, une spin-off de Haffner Energy, ambitionne de se positionner sur le marché du biochar. Dirigée par Claire Chastrusse, elle souhaite développer des unités de fabrication de biochar à proximité des sites industriels très consommateurs de chaleur. En plus de ce produit, de la chaleur et de l’électricité renouvelable seront produites à partir de biomasse. CarbonLoop propose une solution locale et décentralisée pour assurer une sécurité d’approvisionnement énergétique, et fournit aussi des crédits carbone.

Un projet devrait ouvrir ses portes au milieu de 2023 dans les Yvelines, et une station d’hydrogène sera mise en place à la fin de cette année dans le sud de l’Ile-de-France. L’objectif de CarbonLoop est de fournir un service énergétique complet à 100 sites industriels et 100 stations à hydrogène, et ainsi capturer 1,5 million de tonnes équivalent CO2 d’ici 2030.

Les deux pépites du marché du biochar, Suez et Airex Energie, se sont associées en juin dernier. Cette technologie permet de produire des dizaines de milliers de tonnes de biochar annuellement. Leur objectif est de déployer une solution à grande échelle pour atteindre un million de tonnes de crédits carbone issus de biochar par an d’ici 2035.

Leur premier projet débutera au Canada, où l’industrie forestière et menuisière est très développée. Cependant, la France se présente également comme un marché prioritaire.

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Le biochar peut être utilisé dans plusieurs secteurs, dont celui de la construction pour améliorer les propriétés géotechniques du béton et réduire la part du ciment requise. Il peut également être utilisé pour améliorer les opérations de méthanisation et de compostage. Enfin, des technosols à base de biochar et de compost peuvent être utilisés pour favoriser la croissance des arbres en ville, en particulier lors des épisodes pluvieux.

Des précautions et une surveillance à prévoir

L’industrie du biochar est plus avancée dans les pays européens du Nord, notamment en Norvège et en Allemagne. Cependant, l’Europe reste encore en retard par rapport aux États-Unis, car 40 000 tonnes seulement ont été produites l’année dernière, comparativement à plus de 1,5 million de tonnes sur le marché nord-américain.

David Houbel met en garde contre les effets négatifs possibles du biochar. Il explique que, dans certains cas, l’utilisation du biochar pourrait diminuer les rendements des cultures, comme par exemple le blé sur des sols calcaires. Selon lui, le biochar n’est pas une solution unique, mais diffère selon les matières premières utilisées, les paramètres de la pyrolyse et le contexte dans lequel il est appliqué. Ainsi, son application serait plus pertinente dans les contextes tropicaux où les sols sont pauvres, que dans les régions tempérées qui ne bénéficieraient pas d’autant d’avantages.

Malgré cette mise en garde, le marché mondial du biochar devrait connaître une croissance annuelle de 12 % et atteindre 365 millions de dollars en 2028.


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