La face sombre et insoupçonnée de notre société de consommation

Depuis plusieurs décennies, un terme nouveau s’est intégré au vocabulaire des spécialistes de l’énergie : l’énergie grise ou intrinsèque. Cette expression, qui remonte à 1972 et qui est due à la recherche du Docteur Ian Boustead sur l’Analyse des Cycles de Vie, est aujourd’hui identifiée par Lucien Willemin comme l‘un des trois vecteurs principaux de pollution présents dans notre société. En plus de la consommation d’énergie (moteur thermique, système de chauffage, électricité…), l’énergie grise et la production de masse sont à l’origine de pollutions chimiques qui s’accumulent dans l’air, les sols et l’eau (TEDxGeneva 2019).

Qu’est-ce que l’énergie grise

L’énergie grise est l’énergie cachée à l’origine de tout produit manufacturé. Elle se mesure en kilowattheure et représente la somme totale des ressources nécessaires pour le concevoir, le produire, le transporter, le conditionner, le commercialiser, l’éliminer ou le recycler. Il s’agit de l’énergie nécessaire au cycle de vie d’un produit, et c’est l’unité la plus simple à visualiser pour quantifier les consommations d’énergie en exploitation.

Il est estimé que l’énergie grise représente deux tiers de l’énergie consommée. Cela signifie que la consommation annuelle d’un ménage pourrait atteindre 343 kilowattheures par jour. Cependant, il est difficile de déterminer précisément l’énergie grise d’un produit complexe. Par exemple, il est impossible de connaître l’énergie grise exacte d’une voiture car il est difficile d’accéder à toutes les données nécessaires. Selon Burri (2019), les données peuvent varier du simple au triple. Les produits high-tech qui utilisent des métaux rares sont particulièrement difficiles à tracer et leur énergie grise reste très imprécise.

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L’énergie grise dans le bâtiment

L’énergie grise est un concept très connu dans le secteur du bâtiment. Elle est la principale consommatrice mondiale de matières premières. Quand on parle de l’énergie grise et du BTP, on fait principalement référence aux systèmes de chauffage qui représentent entre 10 et 13 % de la consommation totale d’énergie et aux matériaux qui en consomment 8 à 10 %. La quantité d’énergie grise dépend du choix des matériaux et de leur provenance. Par exemple, un bois français aura une énergie grise plus faible qu’un bois tropical. Les matériaux qui ont subi une grande transformation consomment également plus d’énergie grise.

Les énergies renouvelables diminuent fortement l’énergie grise

Il est de plus en plus répandu que l’efficacité des énergies renouvelables, dont l’énergie solaire, est mise en doute. Cependant, le docteur Daniel Rufer a démontré que l’utilisation de l’énergie solaire peut contribuer à lutter contre l’énergie grise et lui donner un rôle plus rentable écologiquement.

Par exemple, examinons deux installations photovoltaïques, l’une produite aux Philippines et l’autre en Chine. La consommation en énergie grise de la première est de 887 kilowattheures par mètre cube, et celle de la deuxième de 1257 kilowattheures par mètre cube.

Chaque kilowattheure d’énergie solaire produit en Suisse, permet d’économiser 3,1 fois la quantité d’énergie primaire non renouvelable. Ainsi, un mètre carré de module photovoltaïque en Suisse économise 574 kilowattheures d’énergie primaire non renouvelable. Si l’on compare le modèle philippin et chinois, le premier sera remboursé en 1 an et demi, et le deuxième en 2,2 années. La durée de vie d’un panneau solaire se situant entre 20 et 30 ans, l’installation philippine produira 20 fois plus d’énergie que son énergie grise, et l’installation chinoise 14 fois plus. Ces installations peuvent être appliquées à la plupart des sources d’énergie renouvelable, car une fois installées, elles ne consomment pas d’énergie primaire pour produire de l’électricité.

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Prise de conscience insuffisante

En 2004, l’importance de l‘énergie grise a été mise en lumière, car elle équivalait à celle des hydrocarbures consommés par la France. Cependant, dans notre société ce vecteur de pollution est sous-estimé, car les politiciens se concentrent uniquement sur la consommation directe d’énergie. Ce raisonnement ne tient pas compte des 8 secteurs qui répartissent autant d’énergie grise que d’hydrocarbures (habitation, services aux entreprises, services aux personnes, agriculture, transport, énergie, productions manufacturières, et industrie primaire). Il est donc impératif de prendre en compte une vision globale des consommations énergétiques en France, afin de lutter contre le changement climatique.

Les données suggèrent que l’énergie grise de la consommation des ménages français a augmenté au cours des 30 dernières années. Les dépenses en produits manufacturés ont le plus haut niveau d’énergie grise, ce qui signifie que plus ce type de produits est consommé, plus l’énergie grise totale augmente. L’énergie grise des ménages va continuer à augmenter si les tendances observées se poursuivent.

Indispensable modification des habitudes de consommation

En prenant en compte l’impact de l’énergie grise sur le réchauffement climatique et les dépenses énergétiques, le secteur du BTP a intégré cette notion dans ses méthodes de calculs. Une motivation collective des acteurs du secteur est nécessaire pour adopter une consommation plus responsable et locale, et ainsi bénéficier à l’économie locale. Plus globalement, un quart de la pollution émise par les foyers français provient des transports, et 70 % de l’énergie grise importée est responsable de la pollution. Les consommateurs doivent prendre conscience que leurs habitudes de consommation et leurs achats de produits manufacturés ont un impact sur l’environnement et invitent à réfléchir sur leurs besoins et leur mode de vie futur.

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